
Elle préfère parler de massage plutôt que de masturbation. Le 4 mai 2018, l'illustratrice Gayelle publiait sur son compte Facebook une courte BD intitulée Le clitoris, oublié de l'accouchement. La dessinatrice y raconte s'être masturbée en donnant naissance à son deuxième enfant, afin d'apaiser la douleur. Gayelle, qui avait choisi d'accoucher à la maison, se souvient qu'elle avait déjà entendu parler de la masturbation pendant le travail.
«J'étais dans mon bain lorsque ça m'est venu à l'esprit. Je l'ai fait sans vraiment réfléchir, ça me paraissait bien de le faire à ce moment-là», se souvient Gayelle, contactée par Slate. «J'ai réussi à couper avec le côté rationnel de mon cerveau, ce qui m'a permis de me masturber. Mais le mot me dérange: c'est plus un massage qui a permis de me détendre et à supporter les contractions.» Elle affirme que le soulagement a été immédiat.
Si chaque naissance est évidemment marquante, celle-ci le fut tout particulièrement pour Gayelle. Après un premier accouchement difficile, sous péridurale, celui-ci s'est déroulé de façon totalement différente. «Mon bébé est passé tout doucement. J'étais en total contrôle, je m'arrêtais quand ça brûlait trop, elle remontait un peu. Et je repoussais. Elle dormait en arrivant au monde, en dix minutes. J'étais hallucinée de ce qui venait de se produire», raconte l'illustratrice.
Cette méthode pour un accouchement sans douleur est très éloignée de ce qu'apprennent la plupart des femmes dans les cours de préparation à l'accouchement. Plus d'une serait bien mal à l'aise d'accueillir son nouveau-né sous le sceau de la masturbation. Et pourtant…
Une BD qui a choqué
Défenseuse d'un accouchement à domicile –lorsque la grossesse n'est pas pathologique, précise-t-elle–, Gayelle souhaitait lever un tabou en remettant l'accouchement au centre de la sexualité. «Je suis convaincue que l'accouchement et la sexualité sont étroitement liées», explique la jeune femme. «La masturbation peut être quelque chose de très sain si on accepte le fait que ces deux actes sont primaires et animaux. Quand je me masse le clitoris en accouchant, je ne suis pas dans un esprit d'excitation sexuelle. Je n'ai aucune image pornographique en tête!»
Si Gayelle prend le soin d'insister sur ce point, c'est que sa bande dessinée, qui a connu un certain écho dans la presse féminine notamment, a été très mal reçue par une partie du lectorat: «“Jouir sur la tête de son bébé”, en quelque sorte, était très dérangeant pour certaines personnes.» Des commentaires ont particulièrement fait souffrir l'illustratrice, comme ceux qui expliquaient qu'il fallait qu'on lui retire ses enfants.
Gayelle, illustratrice«“Jouir sur la tête de son bébé”, en quelque sorte, était très dérangeant pour certaines personnes.»
Il semble certes plus simple de lâcher prise dans un environnement familier. Mais l'accouchement du quatrième enfant de Gayelle a été déclenché et s'est déroulé à la maternité. Si, lors de son troisième accouchement, elle n'avait pas ressenti le besoin de se masser le clitoris, elle a de nouveau utilisé cet outil comme antidouleur pour cette dernière naissance.
«J'ai pu prendre un bain. Quand la sage-femme n'était pas là, je me caressais. Ce n'était pas une excitation sexuelle, mais un moyen d'avoir moins mal. J'ai juste ressenti le besoin de le faire. C'est un super outil. J'ai eu l'impression que les contractions étaient plus efficaces et moins douloureuses.» Gayelle ajoute qu'elle n'a pas eu d'orgasme en tant que tel, mais juste une impression de soulagement.
Naissance orgasmique?
Spécialisée dans les accompagnements d'accouchements, la Canadienne Marie-Jeanne Leblanc-Bastien a accepté d'analyser la façon dont le massage du clitoris permet d'apaiser les douleurs de l'accouchement. «Cette stimulation du clitoris ou de ses parties génitales sert à libérer plus d'ocytocine et d'endorphine, les deux hormones “de l'amour”, qui doivent être produites en grande quantité pour favoriser un accouchement physiologique. C'est un outil puissant pour gérer l'intensité du travail, détendre le corps et ainsi diminuer significativement les inconforts reliés à l'accouchement.»
«Cette stimulation permet aussi à la personne qui accouche un plus grand abandon, ajoute la doula, puisque ce grand relâchement est dû à l'état de conscience altéré de celle qui accouche par les hormones nommées précédemment. Durant l'accouchement, cette auto-stimulation permet l'autonomie, l'intimité, le plaisir parfois, et surtout le soulagement nécessaire à ce grand moment qu'est la venue au monde de notre bébé.»
Marie-Jeanne Leblanc-Bastien ne souhaite pas non plus parler explicitement de masturbation. Pour la professionnelle, cela renvoie au tabou de la sexualité qui peut mettre les femmes mal à l'aise. Avec ses patientes, elle parle donc d'«auto-stimulation génitale».
Le plaisir éprouvé durant l'accouchement peut aller jusqu'à l'orgasme, parfois même sans stimuli sexuel. Dans de rares cas, sans crier gare, un orgasme survient. En France, ce qu'on appelle l'accouchement orgasmique a été documenté en 2013 par Thierry Postel, psychologue et sexologue. Dans une étude intitulée Naissance et jouissance: mise en évidence de l'existence d'un orgasme obstétrical, publiée dans la revue Sexologies, il écrit:
«Sur un échantillon de 206.000 naissances, un total de 1.381 cas de plaisir obstétrical déclaré ou observé a été dénombré, soit 0,7% des accouchements. En particulier, 668 mamans ont confié à leur sage-femme avoir ressenti un plaisir physique durant un accouchement[soit 0,3% des femmes, ndlr]. Cette jouissance s'apparentait à un plaisir de nature sexuelle, très intense, parfois orgasmique. Elle était décrite comme une sensation physique surgissant du corps à l'insu de la parturiente, sans fantasme érogène.»
Outre le phénomène hormonal exposé plus haut, Thierry Postel décrit, dans un vocabulaire scientifique, le phénomène anatomique qui se produit: «La distension et la compression extrêmes des voies génitales durant l'accouchement pourraient recruter des zones érogènes méconnues de la mère. En fin de travail l'étirement des muscles ischio-pubiens et bulbo-caverneux par la tête de l'enfant comprime les bulbes vestibulaires et les piliers du clitoris cependant qu'il écarte ces formations de part et d'autre du vagin. Par ailleurs, à l'occasion du dégagement de l'enfant, le fascia sous-urétral de la zone de Gräfenberg se trouve comprimé entre la symphyse pubienne et la nuque de l'enfant.»
Pour le dire plus simplement, la pression exercée par le bébé sur des points spécifiques du vagin peut provoquer un orgasme.
Reprendre le contrôle?
Les Américaines Debra Pascali-Bonaro, doula, et Elizabeth Davis, sage-femme, ont théorisé cette naissance orgasmique dans un livre publié en 2010, Naissance orgasmique, guide pour vivre une naissance sûre et satisfaisante. «Notre définition est suffisamment large pour inclure celles qui décrivent la naissance comme extatique, et suffisamment spécifique pour donner la parole à celles qui ressentent effectivement les contractions de l'orgasme et atteignent son paroxysme au moment de l'accouchement», écrivent-elles.
«Parmi les femmes que nous avons interrogées, nombreuses sont celles