De la veille de leur intervention à leur convalescence à la maison, en passant par le bloc opératoire où il s’agissait de leur ôter une partie du côlon, nous avons suivi le parcours de deux patients de l’hôpital de Brive, en Corrèze. Ils font partie des premiers malades à qui le chirurgien Ali Abdeh et l’équipe de chirurgie viscérale et digestive de l’établissement ont proposé une intervention en ambulatoire.
Douze heures, pas plus, à l'hôpital
Douze petites heures. Il ne s’est guère passé plus entre le moment où Dominique (*) s’est allongée sur le lit de sa chambre du service de chirurgie ambulatoire de l’hôpital de Brive, prête à descendre au bloc opératoire et celui où elle a enfilé son manteau et est retournée chez elle, à une heure de route de là. Durant ce laps de temps, elle a subi une anesthésie générale, s’est fait enlever une partie du côlon, s’est réveillée et a recommencé à boire et à manger.
Mardi 2 février, pour la première fois à l’hôpital de Brive et « sans doute en Limousin », assure le docteur Ali Abdeh, une colectomie a été réalisée en ambulatoire.
Une des interventions les plus lourdes de chirurgie viscérale
Pourtant, cette opération, qui consiste à ôter une partie du gros intestin parce qu’elle est malade ou défectueuse, est l’une des opérations les plus lourdes de chirurgie viscérale. Avant la mise au point de la technique de la cœlioscopie, qui permet des chirurgies bien moins invasives, une telle intervention nécessitait de passer cinq à six heures sur la table d’opération.
La chirurgie colorectale a fait de grands progrès ces dernières années. Les patients ne sont plus purgés (« on s’est rendu compte que ça fatiguait le côlon »). Ils entrent le matin même de l’opération, s’assoient et mangent rapidement puis sortent de l’hôpital le lendemain ou le surlendemain.
Mais, mardi 2 février, le docteur Ali Abdeh a tenté le pari de l’ambulatoire, avec l’objectif de laisser ses deux patients du jour rentrer chez eux le soir même, si possible. Pour réussir ce pari, le chirurgien et son équipe ont avancé les colectomies au tout début du planning du bloc opératoire, à 8 heures du matin.
"J'étais un peu réticente"
« Quand le docteur m’a proposé de réaliser l’opération en ambulatoire, j’étais un peu réticente, j’habite quand même à une heure de Brive. » À 54 ans, Dominique n’en pouvait plus de devoir se contenter de repas “sans résidu”. « Ce que j’attends de cette opération ? Pouvoir manger normalement à nouveau. Depuis ma dernière crise, c’est patates, nouilles, riz et viande. Je ne peux plus manger de fruits crus ni de légumes. C’est infernal. »
Elle avait tout organisé pour son retour à la maison. « C’est sûr, je serai mieux chez moi, estimait-elle la veille de l’intervention. À l’hôpital, il y a toujours du bruit… Là, même si j’ai mal je serai au calme. Chez soi, on est plus autonome et mieux installé. » Sans parler du Covid.
Mais c’est Jérôme Lapegue qui devait être le premier à passer sur le billard, ce jour-là. À 43 ans, il s’agit de sa première intervention chirurgicale. « Ce n’est pas compliqué : je suis obligé de le faire si je ne veux pas que mon état empire. Le but, c’est de ne pas avoir de poche. » Le pari de l’ambulatoire ne lui faisait pas peur, la veille de l’intervention. « S’il y a quoi que ce soit, je reste. Je sais que je vais voir des appels téléphoniques, on n’est pas abandonné. »
« Un patient dort toujours mieux chez lui qu’à l’hôpital »
« C’est l’avenir, assure Laurence Jarrosson-Lirussi, la médecin anesthésiste qui coordonne l’ambulatoire à l’hôpital de Brive, depuis trois ans et qui officie ce jour-là au bloc. Le principal intérêt de l’ambulatoire, ce n’est pas économique, c’est le bien-être du patient. L’objectif est de réduire la durée d’hospitalisation. Un patient dort toujours mieux chez lui qu’à l’hôpital. »
L’anesthésie est donc calibrée, dès le départ, avec cette sortie rapide en tête : « ce n’est pas une anesthésie plus légère, mais on utilise des produits qui s’éliminent plus rapidement. »
Gérer l’angoisse
La technique de la cœlioscopie est aussi cruciale pour aider le patient à se remettre plus vite : « plus on fait une grosse incision, plus il faut de temps pour récupérer », résume le chirurgien. Mais les interventions en ambulatoire ne sont pas proposées aux patients trop âgés ou trop affaiblis.
L’équipe médicale s’assure aussi que le patient ne sera pas seul chez lui : il faut absolument qu’il soit accompagné, au cas où. D’autant que le docteur Ali Abdeh sait que l’idée de rentrer le soir même à la maison angoisse souvent ses patients.
Le docteur Ali Abdeh.
Ils auront le même antalgique que s’ils étaient restés dans le service. Ils ont un numéro de téléphone qu’ils peuvent appeler jour et nuit. On les appelle systématiquement le lendemain, mais s’ils veulent nous appeler plus tôt, ils le font.
Se préparer tranquillement à la maison
Être opéré en ambulatoire, cela signifie aussi que la préparation se fait tranquillement, à la maison. Une dépilation, une douche désinfectante pour le corps, une éventuelle prise de médicaments et l’absorption de sachets de réhydratation suffisent. Le patient s’engage aussi à cesser de s’alimenter à minuit et à être à l’hôpital à 7 heures, le matin de l’opération.
« On les appelle la veille et on fait le point », précise Séverine Boy, l’infirmière du service de chirurgie ambulatoire qui est sur le pont en ce mardi 2 février. Il n’est pas encore 8 heures et Jérôme Lapegue est prêt, au septième étage de l’hôpital. Dominique sera bientôt là. Une infirmière du service les a appelés la veille, pour faire le point et apaiser, si nécessaire, les inquiétudes. « Si ça ne va pas, on vous garde, répète le chirurgien. On ne vous lâche pas dans la nature. »
Petite mine au réveil...
Direction le bloc opératoire : toute l’équipe, une dizaine de professionnels en tout, est prête. L’intervention peut démarrer. Quatre-vingt-dix minutes plus tard, le premier patient est transporté en salle de réveil. La deuxième prend sa place.
Plongée au bloc opératoire de l'hôpital de Brive (Corrèze), pendant une opération du côlon
Aux environs de 17 h 30, dans sa chambre d’hôpital, Jérôme Lapegue a une petite mine. Dominique, elle, s’inquiète un peu de savoir si « tout est normal ». En fin de journée, la décision est prise : Jérôme Lapegue passera la nuit à l’hôpital, mais Dominique peut rentrer chez elle. « J’avais 60 km de route, je suis arrivée bien fatiguée », se souvient-elle, une semaine plus tard.
« C’est génial ! »
La première nuit a été « longue, j’ai eu mal, mais j’ai géré, j’avais ce qu’il fallait ». Trois jours après l’opération, le vendredi, Dominique a enfin pu manger des clémentines : « j’en rêvais ! » Depuis, elle se remet, se promène et s’autorise enfin à manger de la sauce tomate.
Jérôme Lapegue, lui, est sorti le lendemain de l’intervention, à midi. « J’ai très vite récupéré : le samedi, je suis allé au marché et au resto. Je n’ai pas de douleurs, je mange : c’est génial. » Seule séquelle : « si je mets un jeans, les cicatrices me gênent un peu, je suis obligé pour l’instant de porter des joggings », sourit-il.
(*) Elle n’a pas souhaité que son nom de famille soit publié.
Pomme Labrousse
