Marcel s'impatientait.Avec cette opération, il allait enfin pouvoir mieux marcher. Et en finir avec ces douleurs aux jambes. Oui, ces stents, qui devaient être posés au niveau de ses artères, le septuagénaire originaire de Vichy (Allier) les attendait. Alors, quand, la semaine dernière, la chirurgienne du service angiologie le contacte pour lui annoncer que non, l'opération ne peut avoir lieu ce jeudi 20 janvier comme prévu, parce qu'à l'hôpital de Vichy, les patients atteints du Covid-19 affluent et que les interventions non urgentes doivent être déprogrammées, Marcel s'agace. « Mon mari n’était pas content, il était en colère contre les non-vaccinés, raconte Patricia, son épouse, qui a répondu à notre appel à témoignages lancé sur nos sites Internet. Il a déjà eu une opération de ce type de fin novembre et il attendait avec impatience la suite, car il ne peut plus marcher. »
Serge Choulydevait, lui, être opéré pour une prothèse de hanche le 11 janvier au CHU de Clermont-Ferrand. « Mais le service orthopédie, avec la pandémie, a annulé mon opération. Depuis, je suis dans l’attente, avec des cachets contre la douleur », dit ce retraité, ancien aide-soignant de 64 ans, qui vient de faire sa dose de rappel, mais dont la colère ne se porte pas contre les non-vaccinés. « Je le dis ouvertement : la santé est malmenée par la politique du gouvernement », rugit celui dont l'aigreur s'est tout de même atténuée au fil des jours.
Je me suis dit que je n'étais pas à l'article de la mort et que certains malades du cancer devaient être bien plus en colère que moi...
Serge chouly (Retraité)
Désarroi et colère
Autre victime collatérale du Covid-19, Viviane semble presque résignée. Originaire du Cantal, l'Auvergnate de 41 ans souffre depuis plus de dix ans d'une myélopathie cervicale dite « dégénérative » (NDLR, compression médullaire progressive et symptomatique causée par des lésions dégénératives du rachis cervical). Il y a cinq mois, une hernie cervicale lui est diagnostiquée. Opération fixée le 19 janvier 2022 au CHU de Limoges. « Cette intervention consistait à me mettre deux arthrodèses pour éviter l’évolution de ma maladie et le risque de paralysie à long terme. Malheureusement, on m’a annulé cette opération : mon neurochirurgien avait le Covid-19. Depuis je n’arrive pas à les joindre pour reprogrammer cette opération. J'angoisse », soupire Viviane, la voix fatiguée.
Déprogrammation des opérations en Auvergne : la seconde vague a été mieux amortie
Depuis son Alsace, Christelle Steiner avait tout organisé. La nuit d'hôtel, le transport en VSL. Et puis, trois jours avant l’hospitalisation d'Hugo, 7 ans, atteint d’une maladie du foie, coup de fil de l'hôpital parisien : la biopsie du fils est reportée. « Des lits avaient dû être fermés à cause d'un manque de personnels et ils ne prenaient que les cas les plus urgents », explique la mère de famille.
La biopsie d'Hugo n'a pas été considérée comme faisant partie de cette catégorie. Or, son greffon n'était pas au top et ses bilans hépatiques étaient en dents de scie : cette biopsie aurait permis de savoir ce qui dysfonctionnait.
Christelle Steiner (Maman d'Hugo, 7 ans, atteint d'une maladie du foie)
Partout en France, des milliers d’opérations et d’examens subissent le même sort : annulation, report.Certains patients en sont à leur troisième déprogrammation, parfois plus. Beaucoup ne cachent plus leur désarroi et leur colère, rejetant la faute sur les non-vaccinés qui occupent très majoritairement les places en réanimation. « Si tout le monde était vacciné contre la Covid, les formes seraient moins graves. Et donc les interventions chirurgicales prévues depuis des mois auraient lieu comme prévu ! », fulmine Maryline, 35 ans, dont l'opération de chirurgie esthétique prévue dans une clinique privée de Lyon a été reportée à cause du Covid-19.
Manque d'infirmiers
La situation n’est pas nouvelle. Voilà près de deux ans que les hôpitaux sont contraints de déprogrammer à tout va, donnant la priorité aux personnes atteintes formes sévères du Covid-19. Mais le manque de personnel soignant actuel est aussi à l'origine des nombreux actes chirurgicaux déprogrammés partout en France, estime Camille Thérond-Charles, présidente de l’association Maladies Foie Enfants (AMFE).
« Ces annulations sont dues essentiellement aux fermetures de lits liées au manque de personnel infirmier. Mais lorsqu’il y a un tri, il est lié en partie à l’obligation pour l’hôpital et la société de jouer collectif notamment pour des gens qui n’ont pas fait ce jeu, et privilégier le soin des covidés qui sont à 90 % non vaccinés, décrypte Camille Thérond-Charles. Pourquoi ? Pour éviter que le virus ne circule, plutôt que de soigner les autres malades, notamment les enfants malades du foie, mais aussi les cancéreux. Donc on met leur vie en jeu, car le risque de perdre ces enfants-malades est inférieur à celui d’une pandémie non maitrisable. »
Il faut se vacciner, pour ne pas faire perdre des chances de survie à ces malades, qui eux, mêmes vaccinés, répondent globalement mal d’un point de vue immunitaire au vaccin.
Camille Thérond-Charles (Présidente de l’Association Maladies Foie Enfants (AMFE))
Alexandre Demoule, chef du service réanimation à l'hôpital universitaire Pitié-Salpétrière (AP-HP), à Paris, comprend le mal-être de ces patients qui voient leur opération repoussée. « Imaginez, quand ça fait deux ans que vous devez vous faire opérer de la cataracte et que ce n’est toujours pas fait, quand vous avez 80 ans et que vous n’y voyez plus grande chose ça devient un peu rude. Idem pour les prothèses de hanche. On peut dire : "Ce n’est pas urgent"... Mais quand vous avez 75 ans et que vous ne marchez pas bien ça devient compliqué quand même. »

Claude Rambaud, vice-président de l'association de patients France Assos santé, indique que si « un certain nombre de patients sont actuellement déprogrammés, des disciplines sont en théorie préservées comme la cancérologie ; tout ce qui est cardiovasculaire, les greffes, la pédiatrie et la néphrologie, précise-t-elle. Moi, j'ai été déprogrammée sur une intervention sur le genou qui n'était pas urgente. Et je trouva ça normal : il faut laisser la place aux gens qui vraiment pour lesquels le retard serait dommageable. »
Les opérations "non urgentes" déprogrammées entre le 9 et le 23 avril en Auvergne-Rhône-Alpes
Nicolas Faucon
